Article repris dans la revue Valériane n°144

Le Salon Valériane 2020 aurait dû être le trente-sixième du nom ! Mais, si 2020 fut l’année cruellement marquée par la crise du Covid-19, elle fut aussi celle qui vit une des pionnières de Nature & Progrès «atteinte par la limite d’âge»… Eh oui, Bernadette Parisse, la grande régisseuse des trente-cinq premiers salons, a pris sa pension ! L’occasion rêvée de revisiter l’histoire du «plus grand marché bio de Belgique» à travers le regard de sa principale cheville ouvrière…

Bernadette Salon 2019

En 1982, le groupe local namurois de Nature & Progrès visite le Salon Marjolaine, à Paris, et se sent pousser des ailes afin d’organiser une foire bio à Namur. Philippe Pirlot est l’initiateur du projet et, sans son opiniâtreté, cette initiative n’aurait sans doute jamais vu le jour. José Delory, également membre du groupe local de Namur, présente un dossier bien ficelé au Conseil d’administration de juillet 1984. Il comprend l’engagement de personnel car, à l’époque, l’association ne compte encore aucun salarié. Une «aide à l’emploi», alors appelée CST – pour Cadre Spécial Temporaire -, est alors sollicitée. Le Conseil d’administration, très frileux dans un premier temps, donne finalement son accord…

 

Une aventure osée…

Les démarches aboutissent, début 1985. Trois employés sont engagés pour une année mais pas uniquement pour le salon. Notre première agronome, Véronique Ledent, est chargée de mettre en place la «mention» Nature & Progrès chez nos producteurs ; une graphiste, Anne-Françoise Hageman – malheureusement emportée, l’an dernier, par la maladie – réalise la première affiche du salon et est chargée du graphisme de la revue d’alors.

«Quant à moi, se souvient Bernadette, mon temps de travail est consacré à la mise en place de la première édition du salon : recherche et gestion des exposants, recherche de conférenciers, gestion des bénévoles mais aussi contacts avec le propriétaire des halls et le monteur des stands, gestion de la communication et organisation de la conférence de presse, de l’inauguration, etc. Heureusement, une poignée de bénévoles et mes deux collègues m’épaulent efficacement pour mener à bien cette fameuse entreprise…»

Pendant belge de Marjolaine, le salon bio parisien organisé, à l’époque, par Nature & Progrès France, la volonté de notre salon et d’avoir une connotation tant florale qu’utilitaire. Le premier nom proposé sera Ortie !

«Mais si cette plante est importante dans nos potagers, sourit Bernadette, le mot ne paraît pas des plus vendeurs… Valériane s’impose rapidement ! Cela sonnait bien ; celle qu’on appelle aussi «herbe aux chats» ou «guérit tout» est dans tous nos potagers. De culture facile, elle fleurit du printemps à l’été, sans engrais et sans arrosage. Également médicinale, son nom vient du latin valere qui veut dire «être très fort», «être en bonne santé». Apaisante, utile contre le stress et les insomnies, elle remplit toutes les conditions pour que le salon porte son nom…»

Celui-ci avait, pour principal objectif, de réunir les producteurs biologiques locaux mais également d’accueillir projets et produits concordant avec les buts poursuivis par Nature & Progrès, faire connaître l’association et inciter à partager une autre façon de vivre, tant au niveau de l’alimentation et de l’agriculture que du jardinage, de la santé, etc. Sur la première affiche, en 1985, le nom Valériane était accompagnée du slogan «Vivre Autrement». Déjà tout un programme !

«Nous voulions faciliter la rencontre de tous les acteurs passionnés par la promotion d’une vie plus saine, précise Bernadette, au premier rang desquels les jardiniers bénévoles de Nature & Progrès. N’oublions pas qu’ils furent à la base de la création de notre association ! Nous voulions aussi donner la priorité à tout ce qui peut être autoproduit et inciter les gens à rechercher les produits qui respectent la vie sur la planète… Pour Nature & Progrès, le salon Valériane devait être le moteur d’un changement de société ; l’avenir allait démontrer la justesse de cette vision… La première édition, celle qui a «essuyé les plâtres», a évidemment pâti du fait que nous étions encore des débutants. Mais nous avons cependant réussi à créer, dès le début, un véritable «esprit Valériane» fait de plaisirs partagés et de rencontres entre producteurs d’horizons différents, d’associations alternatives, environnementales et sociales, et de citoyens désireux de converger vers un monde meilleur, plus sain et plus équitable pour tous. Si nous ne pouvons nier un inévitable aspect commercial, Valériane est, de loin, le seul salon qui offre aux visiteurs des services, échanges, informations, conférences, ateliers…»

 

Les éditions Valériane se suivent et ne se ressemblent pas…

La première édition du salon Valériane, en 1985, attire déjà cent vingt exposants et près de cinq mille visiteurs dans le grand hall de – huit mille mètres carrés – de ce  qui s’appelle encore le Palais des Expositions de Namur. Géré par le BEPN – Bureau Economique de la Province de Namur -, il s’agit d’un bâtiment public proposant un prix de location raisonnable. L’année suivante, l’accident nucléaire de Tchernobyl rendit soudain plus visible l’action des associations environnementales. Ainsi va la vie : le salon enregistra une augmentation de 25% chez les exposants et de 30% chez les visiteurs.

«Le salon de 1987 a bien failli ne pas voir le jour, poursuit Bernadette, car nos trois emplois n’ayant pu être renouvelés, mes deux collègues et moi-même sommes au chômage avec, à l’époque, obligation d’aller «pointer» chaque jour dans notre commune… Plus motivées que jamais, nous demandons une dispense à l’ONEM et proposons à notre employeur d’organiser Valériane bénévolement. On aime quelque fois se lancer des fleurs mais, sans prétention aucune, je pense que la motivation des bénévoles et des permanents de l’époque a empêché la belle aventure de tourner court… En 1988, Nature & Progrès s’assure la collaboration des Amis de la Terre qui vont aider à étoffer un beau programme de conférences et d’ateliers. Et cela jusqu’en 1991…»

Puis les années succèdent aux années. Le salon suit son petit bonhomme de chemin. De nombreux exposants sont déjà des fidèles, ce qui n’empêche pas la création d’un comité de sélection. Pour les produits de l’agriculture, du jardinage et de l’alimentation biologique en particulier, les critères deviennent stricts et bien codifiés. Pour le non-alimentaire, le comité se base sur le fait qu’il ne peut y avoir ni tromperie, ni message négatif, ni produits nocifs à l’usage et à la fabrication, ni exploitation humaine…

«1990, se souvient Bernadette, est l’année de la reconnaissance de Nature & Progrès par le service de l’éducation populaire – maintenant appelée éducation permanente – du Ministère de la Communauté française – maintenant appelée Fédération Wallonie-Bruxelles. L’édition sera marquée, pour la première fois par l’adoption d’un thème – l’eau – qui fera office de fil rouge, notamment pour le programme des conférences et des ateliers, par le choix d’exposants pro- posant du matériel d’épuration mais aussi par l’aménage- ment d’un splendide plan d’eau au beau milieu du salon… Notons que ce thème donnera des idées aux Amis de la Terre qui créeront ensuite, pendant quelques années, leur propre «Salon de l’eau». Cette année 1990 voit également apparaître, sur les affiches, un nouveau slogan qui va nous coller à la peau : nous abandonnons Vivre autrement pour voir Valériane, un salon pour notre santé et celle de la terre. Rendons toutefois à César ce qui appartient à César : l’idée vient de chez Nature & Progrès, en France… Les exposants se bousculent au portillon : nous devons louer les deux halls du Palais des Expositions, soit dix mille mètres carrés !

1991 voit ensuite la réalisation d’un premier spot TV d’une vingtaine de secondes qui passera, à la RTBF, durant les quinze jours qui précèdent la manifestation. Une première et une très belle visibilité, en ce qui nous concerne…»

 

Un succès qui croît, lentement mais sûrement !

D’année en année, le nombre de visiteurs augmente sensiblement. En 1992, année de la reconnaissance officielle de l’agriculture biologique, nous accueillons plus de quinze mille visiteurs. Le comité organisateur veille maintenant à la bonne gestion des déchets et interdit la distribution de sacs en plastique. Chaque exposant reçoit gratuitement un kit de valisettes et de sacs en papier, frappés des logos de Nature & Progrès et de Valériane

«Cette même année, regrette Bernadette, le trio de col- lègues que nous formions, depuis le début, se scinde : Anne-Françoise, la graphiste, quitte l’association et un peu plus tard Véronique, l’agronome, décide d’en faire autant, après avoir rédigé le premier livre édité par Nature & Pro- grès, intitulé Agriculture biologique, Pourquoi, Comment ?»

L’écologie au quotidien est le thème de l’édition 1993. Quelques associations sont mises à l’honneur, dont les Amis de la Terre, Habiter sainement, Bon…Jour Sourire, Brabant Ecologie, Centre Urbain, Credal, Les équipes rurales, Inter Environnement Wallonie, et bien sûr Nature & Progrès… Nouveauté ! Le salon s’offre un jour d’ouverture supplémentaire mais en soirée uniquement : le vendredi de 18h à 22h30.

«Une édition plus familiale, se souvient Bernadette, et  vu la proximité de la rentrée scolaire, tous les enfants de moins de quatorze ans reçoivent une latte en bois marquée Nature & Progrès. Une table ronde s’interroge déjà sur «l’avenir de l’agriculture biologique» avec la présence de nombreux producteurs, d’instances officielles et d’organismes certificateurs dont Ecocert Belgique, depuis devenu Certisys. Quant au programme des conférences, il démarre le vendredi à 20 heures, avec celle d’un jeune journaliste spécialisé nommé… Luc Noël ! L’année suivante, c’est la «maison Valériane», entourée d’un magnifique jardin, qui dresse fièrement ses murs dans l’entrée. Nature & Progrès fête déjà le dixième anniversaire de son salon avec, pour l’occasion, une nocturne toute en sons et lumières. Nous sommes déjà en 1994 ! Bon an, mal an, le salon progresse et dépasse les vingt-cinq mille visiteurs, cinq plus tard. En 1999, le thème «Pain… Bio… Logique» draine le tout grand public…

 

Retour aux bases de l’écologie !

Début 1999, éclate le scandale de la dioxine. Nature & Progrès insiste alors sur l’importance de la production locale et familiale, condamne sévèrement les poulaillers industriels… Ce retour à une action plus militante convainc et le public continue à nous suivre. La mobilisation contre la menace des OGM confirmera ensuite cette tendance…

«À partir de 2001, dit Bernadette, nous osons clairement affirmer que Valériane est «le plus grand marché Bio de Belgique !» Au diable la modestie. Puis, dès l’année suivante, nous mettons à l’honneur des régions de France et d’ail- leurs, ce sera le début d’une longue série d’invités… 2003 sera mémorable en raison de la météo caniculaire. Les visiteurs boudèrent raisonnablement le salon mais sans doute le réchauffement de la planète s’invitait-il déjà parmi nous. Je me souviens d’un producteur, malencontreuse- ment placé devant les grandes baies vitrées du grand hall, qui ne maîtrisait plus ses fromages. Ils coulaient allègrement le long de son étal et dans l’allée… Puis, en 2006, Nature & Progrès fêtant ses trente ans d’existence en Belgique, Julos Beaucarne vint marquer le coup avec un grand concert. Lui soufflait septante bougies, cette même année. Il fit salle comble en nocturne… En 2007, des visiteurs électrosensibles nous demandèrent d’interdire wifi et GSM à l’intérieur des halls, une demande – et je fais ici un mea culpa – que nous n’avons malheureusement pas pu  rencontrer, le temps passant…»

Le thème «Le lait cru, c’est vachement bon» attire un très large public, en 2009. Deux magnifiques vaches ont même élu domicile, en 2010, dans  le tout nouveau «dôme» de ce qui, entre-temps, était devenu Namur Expo, une infrastructure vieillissante, cédée au privé sans grand égard pour l’activité des acteurs associatifs comme Nature & Progrès

«Les vaches, c’est un de mes meilleurs souvenirs, affirme Bernadette ! Il avait fallu ficeler impeccablement le dossier avec Namur Expo pour qu’ils acceptent du bétail dans cet univers très aseptisé. Avec distribution de lait cru à tous les visiteurs ! C’était tout simplement fabuleux… Moins agréable fut la visite d’une délégation de l’AFSCA qui déboula, un jour d’ouverture, pour vérifier si les conditions sanitaires étaient respectées chez les exposants ambulants, et notamment la température des comptoirs frigo. Un d’eux n’était pas conforme, avec un malheureux degré de température en trop. Signalant que la marchandise ne pouvait plus être vendue, un inspecteur aspergea l’étal de détergent vaisselle, au nez et à la barbe du producteur et des visiteurs. Un rare moment d’indignation, tant pour la Ferme à l’Arbre à Liège que pour notre organisation…»

 

La grande ruche de 2011 aura durablement marqué les esprits

La mobilisation de Nature & Progrès face aux menaces que doivent affronter les abeilles trouvera ensuite son point d’orgue en 2011, puis la résistance aux lobbys semenciers sera à l’ordre du jour en 2012.

«Une superbe ruche, construite en 2011 par une poignée de bénévoles, fut installée dans le hall d’entrée, se sou- vient Bernadette, agrémentée d’un écran géant relié à une vraie ruche placée sur le toit de Namur Expo, grâce à la collaboration d’Apis Bruoc Sella. Les visiteurs devaient impérativement passer par là pour entrer… C’était tout simplement époustouflant ! Je me souviens aussi d’un magnifique poulailler grandeur nature, tout en bois, avec de la paille, des pondoirs et, bien sûr, des poules… »

Ce que le Salon Valériane m’a apporté personnellement ?

«Ce qu’il m’a apporté ? Des rencontres incroyables, dit simplement Bernadette, et des échanges dans un secteur bio que je ne connaissais pas. Vivant à la campagne, je ne consommais, dans ma jeunesse, que des bons produits du potager, du petit élevage. J’ai toujours vécu dans ce milieu «privilégié» et c’est en démarrant le salon que je me suis rendu compte à quel point c’était loin d’être l’ordinaire pour tout le monde… J’ai acquis le sens de l’organisation ; il valait mieux pour démarrer pareille aventure. Ce qui m’a le plus touchée dans ma carrière, c’est l’investissement de tous les bénévoles qui se proposent pour donner de leur temps sans compter. En trente-cinq ans, j’en ai vu défiler un nombre incroyable. Il faut prêter à chacun une grande attention car, sans eux, notre association n’aurait pas le rayonnement qu’elle a aujourd’hui. Les emplois n’auraient pas pu être créés et, sans doute, le salon Valériane n’aurait-il jamais vu le jour ? Pour eux, je dirai un seul mot : respect ! Bien sûr, il arrivait, pendant le un salon, que des connaissances m’interpellent chaleureusement : «Et alors, Bernadette, ça va ? Tu tiens le coup ? Tu dois être habituée depuis toutes ces années. Valériane, c’est la routine…» Ça avait le don de m’énerver. Non, Valériane, cela n’a jamais été la routine du tout ! Chaque édition est toujours différente, avec de nouveaux exposants à briefer, des infrastructures qui changent tout le temps, de nouvelles normes de sécurité, de nouvelles consignes sanitaires, des nouveaux agencements, etc.

Je ne veux évidemment pas quitter tout cela sans remercier, en priorité, les nombreux bénévoles qui m’ont épaulée et qui ont été souvent sollicités. Je remercie aussi les différents présidents et administrateurs de l’association, les membres du «comité Valériane» qui m’ont accompagnée durant toutes ces années, ainsi que mes nombreuses et nombreux collègues – j’en ai compté nonante-deux ! – avec qui j’ai eu le plaisir de travailler, dès le début de cette grande aventure… Je remercie Francis, mon mari, qui pendant de nombreuses années m’a accompagnée et soutenue à l’approche des salons – avant, pendant et après – et m’a soulagée de nombreuses tâches, sans oublier nos enfants que j’ai parfois un peu délaissés durant ces périodes de travail intense… Valériane, et tout ce qui gravite autour, aura été ma seconde famille. Au plaisir de vous croiser en septembre prochain et longue vie au salon Valériane !

 

Rendez-vous les 3, 4 et 5 septembre 2021 à Namur Expo. Plus d’informations ici.

Propos recueillis par Laura Vlémincq
Rédaction : Dominique Parizel